Sylvain
Aout 2025, je viens de lire le troisième chapitre du super livre "Pédés" ( dispo ici : https://www.editionspoints.com/ouvrage/pedes-florent-manelli/9791041410224 ) et j'y ai trouvé des similarités avec mon adolescence : mes parents ont divorcé quand j'avais 8 ans et de mes 14 à mes 20 ans, mon géniteur est sorti avec une femme qui avait un fils de mon âge prénommé Sylvain. Lorsque que mon géniteur m'a emmené chez elle la première fois, il ne m'a évidemment pas dit où on allait, il était bien incapable d'exprimer la moindre émotion par des mots et ça fait partie de l'héritage qu'il m'a transmis (ça et des yeux bleus).
Une fois dans la maison, je rencontre sa nouvelle compagne ainsi que Sylvain, sa sœur ainée et sa sœur cadette. On avait 14 ans tous les deux, on ne s'était jamais vus mais il avait une console Sega Master System et il m'a rapidement mis une manette dans les mains pour qu'on joue ensemble.
Quand t'as 14 ans en 1992, les jeux vidéos sont une activité pour les cools kids mais aussi un outil d'évasion extraordinaire pour ceux qui n'ont pas beaucoup de potes et ne sont pas aussi populaires que ceux qui ont une mobylette sur laquelle ils défient le vent avec leur doudoune Chevignon !
Je ne sais plus comment est née réellement notre amitié au cours des années mais il est évident que les jeux vidéos ont joué un rôle important !
Sociologiquement parlant, on était tous les deux des ados lambdas dans des familles recomposées de prolos et on avait pas beaucoup de potes.
Il y a cependant une chose qui reste gravé depuis des décennies dans mes souvenirs : quand j'allais là-bas car c'était le weekend de garde de mon géniteur, Sylvain et moi partagions son lit. Heureusement, c'était un lit 2 places. On a donc dormi ensemble pendant notre adolescence.
Et la première fois qu'on a dormi ensemble, il a mis son pyjama avant de se mettre au lit. Pour cela il s'est mis entièrement nu et a changé de vêtements. Il ne semblait avoir aucune gène pour faire ça mais je sais que je n'ai pas quitté sa bite des yeux. Je ne sais pendant combien de temps. Je ne sais plus si j'étais excité, si j'ai bandé, ces souvenirs sont loin et fugaces. Toujours est-il que je l'ai vu se mettre nu devant moi pendant pendant des années. Alors qu'on était deux ados avec les hormones en feu, je ne me suis jamais branlé dans son lit avec ou sans lui.
On ne s'est jamais tripoté, jamais embrassé, rien. On était pourtant à un âge où les expériences plus ou moins sexuelles sont monnaie courante et le fait d'être si souvent ensemble dans le même lit aurait pu grandement faciliter les choses !
Les années passent et même si on évolue d'une manière différente (je découvre les Cure vers 14/15 ans, je me jette à fond dans la musique tandis que lui continue ses études et ne quitte pas trop sa vie à la campagne), on passe toujours du bon temps quand je le vois un weekend tous les 15 jours. On fête nos 18 ans ensemble dans une salle des fêtes louée pour l'occasion et la salle est remplie par mes potes. De son côté, il n'y a que ses sœurs qui sont venues car il n'a pas vraiment de pote à part moi. On rigole bien, on met la musique fort et on boit en dansant.
Entre temps, j'ai réalisé que j'étais pédé, j'étais fou amoureux de mon meilleur ami (forcément hétéro) et j'ai réussi à faire mon coming-out auprès de mes ami·e·s proches qui l'ont toustes parfaitement accepté.
Le temps passe et Bergerac est une petite ville, il est temps de bouger … La plupart de mes ami·e·s vont faire leurs études à Bordeaux alors c'est là que j'irai aussi, la "grande ville" et ses opportunités me font rêver !
Sylvain, lui, reste à la campagne dans la maison familiale avec sa mère et ses sœurs pendant que je découvre les lieux gays, je sors, je danse et je baise.
Le temps passe et je laisse un peu de côté les ami·e·s qui m'ont accompagné pendant l'adolescence et avec qui j'ai tant partagé pour me réfugier auprès de nouveaux amis pédés venus aussi de la campagne qui, comme moi, ont des étoiles plein les yeux sur le dancefloor ou dans les bars gays.
Quelques années plus tard, alors que je suis dans la trentaine et que je rends visite à ma mère avec mon mec de l'époque, elle me dit qu'elle a vu Sylvain. Il travaille désormais comme fleuriste dans un magasin de chaine genre Jardiland, elle me dit "il est comme toi" et vit en couple dans un village avec son mec.
Je repense à lui et réfléchis au fait qu'on était deux ados dans le placard et qu'on en a jamais parlé l'un à l'autre. Si ça se trouve, lui comme moi attendions que l'autre fasse un geste "pour essayer". Si ça se trouve on aurait pu sortir ensemble, il aurait pu être mon premier baiser, mon premier amour.
J'ai repensé à tout ce que j'ai pu vivre en arrivant à Bordeaux, à tous les garçons embrassés dans mes jeunes années avant de trouver un amoureux à présenter à ma mère. A toutes ces nuits sur le dancefloor, aux verres d'alcools, aux drogues, aux afters, au poppers, aux rencontres improbables dans les vapeurs de la nuit …
Il faut dire que mon coming-out auprès de ma mère a été assez chaotique : elle a été prévenue par des voisin·e·s qu'iels m'avaient vu dans un reportage d'une émission de Jean-Luc Delarue. On m'y voyait sur la scène d'un club techno en robe, avec les cheveux rouges et tenu en laisse par ma besta de l'époque. (True story).
Le dimanche après la diffusion de l'émission, je suis en descente/gueule de bois avec Annabelle et on compense toute l'énergie perdue dans le weekend par un menu Maxi Giant à Quick avec des litres de Coca pour s'hydrater.
"Maman" apparait sur le mini écran de mon téléphone Sony Ericsson et je réponds. Elle me dit qu'elle m'a vu à la télé, me demande si je suis homosexuel et je ne peux que lui dire oui. Elle a dû encaisser le truc, elle a lu des livres sur le sujet, en a parlé avec ma grand-mère, m'en a parlé de nouveau au téléphone et tout s'est bien passé ensuite.
Mais pour Sylvain, comment ça s'est passé ? Il est resté dans la campagne à 20 kilomètres de Bergerac alors comment a-t-il fait pour rencontrer des garçons ? Comment l'a-t-il annoncé à sa mère ? Est-ce qu'il a vécu des expériences similaires en couchant avec des mecs plus âgés sur des lieux de drague ? C'était où son premier baiser ? Il avait quel âge ? Est-ce qu'il a lié des amitiés pédés comme j'ai pu le faire ? Comment a-t-il rencontré son mec ? Est-ce qu'il s'est mis en couple avec lui parce que c'était le seul autre pédé dans le périmètre ou était-ce réellement l'amour fou dès le début ?
Comment aurait été ma vie si je n'étais pas parti de Bergerac ? Est-ce que moi aussi j'aurais eu une vie très "normale" avec une maison à la campagne, (peut-être) un mec, un chien ? Avec de rares sorties car il n'y a pas grand chose dans le coin et une vie tranquille et rangée ?
Est-ce que j'aurais été la folle flamboyante du coin, que personne ne connait réellement mais que tout le monde connait grâce aux ragots ?
Et pour Sylvain, ça se passe comment au travail ? Est-ce qu'il est out auprès de ses collègues ? Est-ce qu'il se fait insulter dans la rue ou par ses voisin·e·s ?
Comme moi, il n'a pas fait d'études supérieures. J'ai un BEP vente et lui un dans les travaux horticoles. Mais j'ai choisi de partir. J'avais besoin de plus grand, d'anonymat, de goûter un peu aux rêves de reportages de soirées au Queen que je voyais dans Têtu à l'époque.
Mais Sylvain, pourquoi il est resté ? Par envie, par besoin, par timidité, à cause de difficultés matérielles ou financières, par peur de tout quitter ?
Je ne le sais toujours pas car je n'ai pas pensé à lui rendre visite sur son lieu de travail pour prendre des nouvelles, je n'ai pas demandé à ma mère de lui filer mon numéro. Elle me donnait juste une information sur quelqu'un qui n'était plus dans ma vie mais qui a pourtant compté.
Quand ma mère m'a annoncé l'avoir vu, Sylvain c'était le passé. Un passé qui n'avait plus rien à voir avec ma vie de l'époque : j'étais DJ, je chantais et je jouais dans un groupe avec qui on allait sortir notre premier disque sur un des meilleurs labels indé d'Europe. Très loin de Bergerac. Et en lisant le texte d'Adrien Naselli dans "Pédés" j'ai repensé à lui, à nos vies et nos liens si proches à l'adolescence et qui ont finalement bifurqué vers des destinations totalement différentes.
Si on se revoyait maintenant, quelle image on aurait l'un de l'autre ? Est-ce que je le verrai comme un gay normatif en Celio tandis que lui verrait en moi un pédé citadin pédant comme ceux qu'il voit à la TV et se dandinent sur les chars à la Pride ? Est-ce qu'il aurait lui aussi vu Brokeback Mountain et bandé devant ces deux cowboys ou ça lui serait passé au-dessus ?
Alors que moi je vois ma vie comme un combat militant doublé d'une envie de création musicale, est-ce que son identité est une partie importante de sa vie ou un simple détail qu'il ne brandit pas comme un étendard ? Est-ce que sa vie homosexuelle est plus facile grâce à internet ?
Un camarade pédé m'a offert un collier avec écrit "Tapette" en pendentif il y a quelques temps. Pour moi, c'est une fierté mais pour Sylvain, est-ce encore un mot qui le blesse et qu'il retrouve tagué sur sa boîte aux lettres ?
Super récit ! Continue !
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